2024_2025 mois de la recherche du PAD Archéologie des media et Images (AMI)

Ce travail collectif a été mené du 9 septembre au 10 octobre 2024 par les étudiant.e.s de 4ème année, de 5eme année, une DSRD et les enseignant.e.s du PAD avec le soutien théorique et pratiques d’intervenant.e.s : Anaïs Boudot, Emmanuel Guez, et Jacques Perconte.


4ème année :
Lou-ann Chotard, Axelle Glon, Hayoung Jeong, Anna Jondeau, Margot Lepetit, Marlyse Louzet, Théo Michaud, Sarah Oulahbib, Camille Suzanne 
5ème année :
Hugo Delattre, Cléa Delemontey-Racle, Chloé Villeneuve, Axel Martinache

Etudiante chercheure associée en DSRD : Louise Cotte. 
Enseignant.e.s chercheur.e.s de l’ECOLAB : Laurent Baude (direction), Maurice Huvelin, Ambre Charpier, Julien Levesque 

Une recherche archéologique de l’image

La rentrée de septembre 2024 a marqué le début du mois de la recherche, avec l’inauguration du parcours de recherche Archéologie Média et Images (PAD AMI) sous la direction de Laurent Baude et de Maurice Huvelin accompagnés des enseignants Ambre Charpier et Julien Levesque. Ce programme de recherche part du postulat, désormais acquis, que notre régime écranique contemporain a provoqué une crise ontologique qui a touché de plein fouet nos images. Si elles sont des images physiques, « incarnées par les médias dans lesquels elles apparaissent1« , les média computationnels semblent alors les avoir confinées dans une spatialité restreinte, tout en multipliant les supports. 

Face à cet état de fait, notre recherche interroge l’histoire de notre médialité contemporaine, en considérant les ruptures et les continuités qui ont produit notre régime de représentation, et plus spécifiquement, celui de nos images. Ainsi, notre PAD enquête sur les média oubliés, les imaginaires étranges et les échecs productifs que les grands récits des inventions désormais hégémoniques ont occultés. L’archéologie des media en tant que méthode de recherche nous permet ainsi d’observer les évidences posées par nos média contemporains, dont parfois nous oublions qu’ils sont et forment un environnement perceptif, fait d’infrastructures invisibilisées régies par une supposée bonne pratique de ces appareils. 

Ainsi, les étudiant.e.s et les enseignant.e.s de ce programme tentent de bousculer les certitudes qui nous sont données. Cette résistance passe par une maîtrise de nos techniques afin d’ancrer nos savoirs concrets mais aussi par une exploration poétique de laquelle émergent des propositions inventives : des scanners numériques deviennent des sténopés, le tourné-monté du cinéma argentique devient une méthode pour des pratiques filmiques numériques, des boîtes à café se recyclent en mousetrap et de la vitamine C couplée à du café nous permettent d’échapper à la chimie industrielle de développement2.

Le mois de la recherche fut un moment d’exploration à l’intérieur de la boîte, en ouvrant les appareils ; nous avons revu la chaîne d’opérations de la production d’images mais aussi produit notre propre recherche visuelle, parfois illisible, quelque fois pauvre d’icônes mais qui pourtant a su mettre en lumière les qualités étranges de nos techniques hybrides et créatives. Certaines de nos images furent inspirées par une histoire de la photographie et de l’image en mouvement réalisée par des figures telles que Félix Nadar, Georges Méliès ou encore William Henry Fox Talbot et son travail édité en 1844 dans The Pencil of Nature dans lequel on retrouve ses photographies d’Orléans lors de son séjour le 14,15 et 16 juin 1843. 

Hybridation, images pauvres et méthodes archéologiques

Le PAD explore les ruptures et les continuités qui s’opèrent entre les médias optiques numériques et analogiques (Super 8, argentique, l’appareil à sténopé…). Il examine à la fois l’histoire de ces médiums, en les considérant comme des supports de diffusion et de production situés de l’image qui ont transformé notre expérience sensible de la vision. Nous réactivons et confrontons des appareils oubliés ou obsolescents à des médias contemporains grâce à des hybridations techniques, ce qui nous permet de tirer de nouvelles réflexions sur nos usages de ces techniques mais aussi de problématiser les conditions contemporaines de notre production d’images. 

Tout au long de notre production d’images nous avons orienté notre protocole autour de plusieurs techniques de prises de vue sans forcément accorder une importance première à la lisibilité de l’image ou à éviter une dégradation de l’image. La pauvreté qui se dégage du registre iconique de ces images révèle pourtant une richesse de textures et de nuances, marquant l’expressivité de leur technique. Décrites par Hito Steyerl comme des images pauvres, elles trouvent leur origine dans la culture populaire, celle des médias de masse et de la profusion d’images numériques. Accessibles, communes, duplicables, circulant à toute vitesse en ligne, elles sont considérées par l’auteure comme des témoins de la visualité quotidienne dans une économie croissante de l’image : 

“L’image pauvre est une copie en mouvement. Sa qualité est mauvaise, sa résolution inférieure à la norme. En s’accélérant, elle se détériore. Il s’agit du fantôme d’une image, d’un aperçu, d’une vignette, d’une idée errante, d’une image itinérante distribuée gratuitement, pressée à travers des connexions numériques lentes, compressée, reproduite, arrachée, remixée, ainsi que copiée et collée dans d’autres canaux de distribution.3

Jacob Gaboury conclut ainsi qu’ « elle [l’image pauvre] rend visible ce que l’image riche désavoue : les conditions matérielles de sa propre production. 4» Et ces conditions sont dans ce PAD, le départ de notre recherche concrète et théorique.

Il est essentiel d’élargir notre perspective au-delà de la photographie, du son et de l’image en mouvement afin d’appréhender ces médiums en tant que média artistique. Notre méthode de recherche, celle de l’archéologie des média, met en lumière des interrogations profondes sur la place des artistes dans un champ de création influencé par les médias, révélant le nouveau dans l’ancien et vice versa. Comme son nom l’indique, l’archéologie des médias sonde les médias contemporains par l’histoire fracturée de ces inventions qui enregistrent, stockent et restituent des représentations. Somme toute, cette direction de recherche s’intéresse à comment nos formes de communication et de représentation ont évolué et influencé notre perception du monde, et comme McLuhan le rappelle : 

« Dans une culture comme la nôtre, habituée depuis longtemps à diviser toutes choses comme moyen de contrôle, il est parfois un peu choquant de se voir rappeler que, dans les faits opérationnels et pratiques, le médium est le message. Cela signifie simplement que les conséquences personnelles et sociales de tout support – c’est-à-dire de toute extension de nous-mêmes – résultent de la nouvelle échelle introduite dans nos affaires par chaque extension de nous-mêmes, ou par toute nouvelle technologie.5 »

Divers dispositifs ont été créés durant les journées de workshop permettant dans un premier temps de comprendre ce qu’est la photographie et le film, de la camera obscura comme phénomène optique à la fixation de la lumière sur des matériaux photosensibles par la production de papier salé. Les techniques analogiques et do it yourself nous ont permis d’identifier alors différentes problématiques de recherche qui furent divisées entre étudiant.e.s pendant ce mois de la recherche.

Voici les différents points de départ de chaque approche : 

Mécanique de l’appareil 
La structure et le fonctionnement mécanique de l’appareil, permettant des moyens de détournement et de réappropriation.

  • Sténopé (DIY, réalisé avec n’importe quel objet disposant d’une cavité dans lequel un simple trou remplace l’optique d’un appareil)
  • Mouse trap (objet usiné qui se réfère à un piège à souris en référence au modèle utilisé par William Henry Fox Talbot en 1935 pour ses premiers clichés)
  • Room obscura 
  • Hybridation scanner et appareil à sténopé
  • Hybridation scanner et agrandisseur NB

Mouvement
L’image-mouvement est au cœur de la pratique du programme de recherche, mettant à l’honneur l’image-fixe pour confectionner des images animées. 

  • Bullet time (sténopé roue de vélo)
  • Photo linéaire (photo finish)
  • Photo scan 3D
  • Stop motion 

Matérialité
Au cœur de l’image (Chimie, physique, pixel, grains, …)

  • Super 8 (tournage tourné monté)
  • Super 8 (tank et spire modèle Lomo en impression 3D)
  • Super 8 développement inversible NB
  • Super 8 développement croisé (film kodachrome et agfachrome dans de la chimie inversible NB)
  • Film argentique noir et blanc (prise de vue et dévelopement)
  • développement film argentique couleur C-41 (test)
  • Développement caffenol2
  • Tirages au papier salé et albumen

Documentation
Le collectif AMI a travaillé sur une documentation auto-ethnographique qui participe à fonder et suivre les différents processus et techniques employés. La documentation hybride retrace l’ensemble des questionnements et protocoles de ces expérimentations notamment sous forme de fiches synthèse : 

  • prise de vue à la volée (smartphone, …)
  • photographie numérique et argentique 
  • polaroid
  • VHS
  • écrits
  • interview et entretiens
  • notes de synthèse pour le meuble à archive

La conception d’un “meuble archive”, objet manifeste, témoigne d’une volonté de classement et de conservation d’images, d’objets techniques et de notes de synthèse. L’ensemble forme une base de données permettant la réactivation de pratiques et procédés archéologiques inhérents à la photographie. La relation à l’archive auto-ethnographique incarne le pouvoir inhérent à l’accumulation, la collection et le stockage, autant que le pouvoir propre à la maîtrise du lexique et des règles du langage.

Nous avons également eu l’honneur d’accueillir les invité-e-s du mois de la recherche. 

Anaïs Boudot, Emmanuel Guez, Louise Cotte et Jacques Perconte nous ont honorés de leur présence, pour partager avec nous leurs connaissances sur leurs pratiques respectives et nous permettre d’échanger notamment sur les théories de l’archéologie des média, la fascination pour le travail de laboratoire, le processus de production, et la compréhension de la matière photographique. Nourris par ces discussions, nous avons entrepris diverses expérimentations sur l’image, répartis en groupes dans les ateliers et laboratoires pour favoriser le partage de nouvelles connaissances. 

Revoir la pratique, héritée des accidents

Ce mois de recherche a été pour l’ensemble du collectif d’étudiant.e.s et d’enseignant.e.s, une exploration technique où notre sensibilité à l’argentique, en tant que pratique à haute maîtrise technique, rencontra l’intensité créative des média numériques. Notre position productive est manifeste d’une activité artistique qui privilégie le processus, autrement dit une recherche créative délaissant volontairement l’objet fini et ses images riches, pour une hybridité décomplexée et des textures visuelles. Les protocoles de chaque expérimentation, puisque documentés dans nos fiches de synthèse, permettent d’interroger la pertinence de nos média face aux enjeux contemporains et aux technologies numériques.

De l’atelier au laboratoire, ce temps de recherche est devenu, pour nous, un moment d’expérimentation dans lequel nous nous sommes familiarisés avec les accidents techniques et esthétiques que d’autres ont obtenus avant nous. Cependant, ces erreurs deviennent pour nous le point de départ d’une recherche plastique, statuant ainsi que l’erreur est un événement artistique liée à un processus technique de production picturale. En acceptant l’erreur photographique comme inhérente à ce procédé, nous nous délivrons d’une allégeance à l’objectivité mécanique pour une relation artistique à l’image et son médium de production ; cette expérience collective s’est révélée devenir une pratique qui évolue avec son temps et ses mœurs. Elles ouvrent un champ de recherche aux artistes dans l’optique de faire communiquer un héritage technologique à une réalité contemporaine de la pratique de l’image fixe à l’image en mouvement.

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  1.  Belting, Hans, An Anthropology of Images : picture, media, body, [2001], Princeton, Princeton University Press, 2011, p. 12. ↩︎
  2. Ce type d’expérimentation tirée du travail engagé notamment par l’universitaire Scott Williams dans le cadre de ses enseignements, a ouvert des modèles de production alternative. Keith Michael Krise, Scott A. Williams, “Brewing up Photography: Using Coffee to Develop Film”, en ligne, URL : https://www.acs.org/education/celebrating-chemistry-editions/2024-ncw/coffee-film.html consulté le 04/10/2024 ↩︎
  3. Steyerl, Hito, “In Defense of Poor Images”, in e-flux journal, n°10, november 2009. En ligne : https://www.e-flux.com/journal/10/61362/in-defense-of-the-poor-image/ consulté le 14/11/2024 ↩︎
  4. Gaboury, jacob, « De la pauvreté de l’image riche », dans Somaini, Antoni, Casetti, Francesco, La haute et la basse définition des images, Berkley,  2021, p.266 ↩︎
  5. Nous traduisons « In a culture like ours, long accustomed to splitting and dividing all things as a means of control, it is sometimes a bit of a shock to be reminded that, in operational and practical fact, the medium is the message. This is merely to say that the personal and social consequences of any medium—that is, of any extension of ourselves—result from the new scale that is introduced into our affairs by each extension of ourselves, or by any new technology” 
    McLuhan, Marshall, Understanding Media : The Extensions of Man, [1964], Massachusetts, MIT Press,1994, p.7. Tiré de l’article d’Ambre Charpier,  https://dit.dampress.org/glossary/medium-mediums-media consulté le 14/11/2024 ↩︎
  6. Ce type d’expérimentation tirée du travail engagé notamment par l’universitaire Scott Williams dans le cadre de ses enseignements, a ouvert des modèles de production alternative. Keith Michael Krise, Scott A. Williams, “Brewing up Photography: Using Coffee to Develop Film”, en ligne, URL : https://www.acs.org/education/celebrating-chemistry-editions/2024-ncw/coffee-film.html consulté le 04/10/2024 ↩︎