Entretien avec Rouchon Paris Par Lou-Ann Pigearias

Le studio photo Rouchon Paris, dans lequel j’évolue depuis plus d’un an en tant qu’assistante plateau, abrite des secrets bien gardés de l’industrie de la mode, dont je suis témoin chaque jour. En effet, il est le temple de la photographie de mode aujourd’hui. C’est pour moi à la fois un terrain d’expérimentation de la photographie, où j’apprends au quotidien tous les rouages, mais également un terrain d’observation sociologique où fourmillent des dizaines de corps de métiers que relient l’industrie de la mode et du luxe. Consciente que mon point de vue nécessitait d’être contrebalancé par une vue plus globale, j’ai voulu interviewer ses fondateurs et acteurs pour mettre en lumière leur point de vue sur le Studio, leur évolution au sein de l’entreprise ainsi que pour les questionner sur les enjeux d’un si grand studio de photographie de mode au XXIe siècle.

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je m’appelle Sébastien Rouchon, je suis le président de la société Rouchon Paris. J’ai fait un parcours universitaire en gestion généraliste et plus spécifiquement dans la gestion PME et PMI à Dauphine puis à Panthéon- Assas. J’ai commencé ma carrière dans le marketing digital, avant de créer une petite agence de production multimédia. Et j’ai repris la direction de l’entreprise familiale en 2007. 

Vous êtes un des héritiers de Jacques Rouchon, est ce que vous pouvez me raconter son histoire et comment le studio a commencé? 

Mon grand-père, Jacques Rouchon, d’après la légende, aurait obtenu son premier appareil photo lors d’une perquisition chez un collabo à la libération puisqu’il faisait parti des forces françaises de l’intérieur. Assez rapidement il a fait le choix d’embrasser la carrière de photographe, en collaboration avec Françoise Rouchon, ma grand-mère. Il a vite intégré l’agence de presse Rafau aux cotés de Sabine Weiss, Willy Ronis etc. Du milieu des années 40 et milieu 50, il a alterné entre des photos people, reportages humanistes, scènes de la vie quotidienne de paris etc. Il s’est avéré qu’il est rentré petit à petit dans le monde de la mode et dans ses archives on a retrouvé de plus en plus d’images avec des couturiers, notamment de Jacques Fatt, on a énormément de photos de Jacques Fatt, pendant ses soirées mondaines où le tout Paris venait profiter de sa générosité et de sa convivialité. Je ne sais pas comment s’est opéré le passage à la photographie de mode, mais dès le début des années 50, il a créé son premier studio photo dans l’appartement familial dans le 16e, puis dans le 17e avant d’emménager en 59 dans un vrai studio près des couturiers, rue de Marignan. On a d’ailleurs toujours quelque part la plaque STUDIO ROUCHON qui date de 1959. On est dans une période d’explosion de la presse, de la publicité, de la photographie. Avec une carrière qui s’est développée comme ça, jusqu’à sa mort. En 1973, il décide avec deux associés, de s’installer rue du fer à moulin dans le 5e pour créer un des premiers complexes dédiés à la photographie de commande avec un photographe de Nature Morte, un photographe de Décors, et proposer une palette complète de photographie. Puis il est décédé assez rapidement après ça, d’un cancer. 

Vous avez connu votre grand-père, vous étiez beaucoup au studio en étant petit ? Quel souvenir en avez vous ?

 J’ai peu de souvenirs, des photos… Mais je sais que j’ai passé du temps au studio, avec ses associés… Mon père et mon oncle sont nés dans un studio photo, ils y ont passé leur enfance. C’était le Home Studio. Puis ils ont embrassé une carrière d’assistants photographes puis photographes. C’est aussi à ce moment que s’est posée la question de l’avenir du studio, à la mort de mon grand-père. Il y avait une réelle question sur le devenir du studio, qui coûtait de l’argent, qu’il fallait entretenir et occuper. C’est a ce moment là qu’une rédactrice lui a dit, “quand vous êtes en shooting à l’étranger, pourquoi vous ne louriez pas les studios ? Car nous on cherche.” Au début, il fallait un appareil photo pour être photographe, ensuite il fallait un studio et à un moment, il était impossible pour chaque photographe d’avoir son propre studio, ça n’avait aucun sens. C’était intenable financièrement. Donc, c’est l’époque où les premiers studios de locations ont émergé comme le Pin-Up ou l’Astre qui commençait ponctuellement à louer leur studio à Bailey, Newton… Donc, les premières demandes affluent. C’est comme ça que l’idée est venue et mon père a largement milité pour que mon père garde le studio et continue cette activité familiale qu’ils auraient pu abandonner au profit de leur carrière personnelle. Il y a eu cette opportunité, cette intuition et un moment le passage à l’acte et la prise de risque. Ils ont commencé à créer l’embryon de ce qui est devenu le Studio Rouchon en 1984.

Par rapport à aujourd’hui, le marché du studio a-t-il changé depuis les années 1985?

 De toute façon, on peut se dire aujourd’hui, que tout a changé depuis les années 80. Il y a tellement de choses qui ont changé, qu’on pourrait presque se demander qu’est-ce qui n’a pas changé depuis les années 80. Il y a toujours un studio, un photographe, de la lumière, une mannequin, un maquilleur, un annonceur… Mais en dehors de ça, tout a changé. Et l’entreprise n’a cessé d’évoluer au cours de ces années. On peut citer des détails rigolos comme mon père qui faisait des cassettes Bootleg qu’il mettait sur des vinyles pour que les clients aient de la musique sur leur plateaux là où aujourd’hui tout le monde vient avec son abonnement et joue ce qu’il veut. À l’époque, on passait un coup de fil pour poser une option, pas de devis, pas de bon de commande, avec une confiance aveugle… C’était comme ça mais ça ne pouvait pas durer comme ça. Ça s’est ensuite professionnalisé. Et je pense que l’on peut en parler sans nostalgie. Les images que l’on produit ne sont plus les mêmes, les équipes, le travail… Difficile de trouver ce qui n’a pas changé depuis les années 80.