Entretien avec Anaïs Boudot Par Lou-ann Chotard et Anna Jondeau

Née à Metz en 1984, la photographe Anaïs Boudot est diplômée de l’École nationale supérieure de la photographie en 2010 et du Fresnoy en 2013. Elle est représentée par la Galerie Binôme depuis l’exposition « Mouvements de Terrain » à laquelle elle a participé aux côtés de Michel Le Belhomme et a été membre de la Casa de Velazquez à Madrid en 2017.
Son travail explore les processus d’apparition de l’image à travers des techniques photographiques mêlant argentique et numérique. Elle crée des images hybrides, où le paysage et la lumière sont essentiels, jouant sur les notions de présence, d’absence et de perception. Ses œuvres interrogent les frontières entre l’espace, le temps et le visible, créant des images  énigmatiques. À l’occasion du mois de la recherche nous avons pu la rencontrer et échanger avec elle. 

Vous avez expliqué avoir eu un parcours dans plusieurs écoles. Pourquoi cette diversité ? Quelle incidence a-t-elle eu sur votre travail ? 

J’ai commencé par les beaux-arts de Metz où durant la première partie de cycle, j’ai découvert et testé beaucoup de pratiques différentes. C’est à ce moment que j’ai découvert la photographie et le travail en laboratoire qui m’a vraiment passionné. Toucher à tout m’a permis d’affiner mes goûts et trouver un médium qui me plaisait : la photographie et plus particulièrement l’argentique. Ce travail d’impression et d’apparition de l’image, c’est ce qui m’a d’abord touchée.

J’ai ensuite décidé de rentrer à l’école d’Arles pour me spécialiser afin de poursuivre et approfondir ma pratique de la photo, ce que je n’avais pas tant eu l’occasion de faire avant, dû à une formation assez générale. Même si les premières années sont aussi dédiées à l’apprentissage de différentes techniques comme le studio, que je ne fais absolument plus, l’accès à une bibliothèque très fourni sur la théorie et l’histoire de la photo a vraiment nourri mon travail et m’a permis à la fois d’expérimenter et de le resserrer.

Puisque votre travail explore l’argentique et le numérique, comment choisissez-vous un médium par rapport à un autre ?

Je n’ai pas l’impression de choisir l’un ou l’autre, puisqu’ils sont plutôt des outils qui servent à des étapes différentes. Finalement, je les choisis pour des raisons qui m’appartiennent. Par exemple, je trouve plus ergonomique de faire de la prise de vue en numérique car, dans la manière dont je les travaille, je n’ai pas besoin d’une qualité extrêmement définie. Je passe ensuite, via un internégatif, à des pratiques argentiques, cyanotypes ou d’autres manipulations physiques de l’image. Pour moi, ce ne sont vraiment pas des techniques qui s’excluent ou s’opposent. Nous sommes dans une époque où nous avons accès à tous ces outils et ils me servent à tel ou tel moment du processus.

Lors de la présentation, nous avons vu des extraits du film Seule La Nuit en collaboration avec la réalisatrice Sandra Städeli. Vous vous baladez au crépuscule afin de collecter des matériaux, photographier et développer seule. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre méthode de travail et votre recherche ? 

J’ai d’abord l’envie de tester et de voir ce à quoi les choses vont ressembler et c’est une partie importante de ma recherche. Ensuite, la lecture me nourrit tout au long de ma vie et vient transformer de manière souterraine mon regard ou ma manière de faire. En tant qu’étudiante, j’ai beaucoup regardé les images de Sally Mann dont la pratique très manuelle de l’image utilisait déjà à l’époque des techniques alternatives.

En terme de lecture, j’apprécie le philosophe Hartmut Rosa, qui évoque notre rapport au temps et la nécessité de ralentir, d’être en communion avec les choses. Les idées de Matthew Crawford sur la valeur du travail manuel et de l’artisanat me touchent aussi, car elles reflètent ma manière d’aborder l’image. Celle de prendre le temps, d’être en contact direct avec le processus et de cultiver un savoir-faire sur le long terme.

Il y a la recherche technique et la recherche dans le travail qui se couplent à une recherche métaphysique et personnelle même intime, d’émancipation. Les deux marchent de concert. Mon travail sur Picasso et Brassaï a été une remise en question. Quelle posture, quel point de vue j’adopte et j’assume? C’est ce moment d’ouverture et de remise en question de ses a priori, de questionnements intimes de la société qui, dans le travail, est enrichissant et étonnant.

Comment votre travail adresse ou réagit à la culture de l’image contemporaine ? 

On pourrait grossièrement dire que l’image contemporaine englobe toute la culture numérique avec un régime d’images immatérielles qui circulent très rapidement en passant dans un flux ininterrompu et disparaissent relativement rapidement. 

En faisant partie de ce temps et en utilisant tous les outils numériques, j’adopte nécessairement une posture paradoxale. Je suis immergée dans cette culture numérique où je fais face à des images toute la journée mais je ressens souvent le besoin et l’envie de faire pause. Mon travail photographique s’inscrit dans une envie de ralentir et d’entrer en résonance avec les images. 

Bibliographie 

anaisboudot.fr

galeriebinome.com

Hartmut Rosa, philosophe et sociologue allemand 

Laurent Millet, photographe et plasticien représenté par la galerie Binôme

Matthew Crawford, philosophe et chercheur à l’université de virginie

Sally Mann, photographe américaine 

L’invention de Morel par Adolfo Bioy Casares