Je travaille sur les principes de la répétition et de la variation à travers le cas de la série dans la création artistique ainsi que de l’acte de collectionner. Qu’est-ce que ceux ci révèlent chez l’Homme, dans son rapport au désir voire de sa quête du bonheur? En effet, il semble les humains, à l’échelle de l’espèce comme à celle de l’individu, tendent vers des schémas de cycle, de recommencement, des actes de répétition avec variation au cours de leurs vie, à travers ce qu’ils créent notamment. C’est au cours de mes recherches sur le sujet que je découvre un article appelé « Les Collectionneurs sont-ils névrosés ? » publié sur le site psychologies.com et écrit par l’auteur, parapsychologue et psychothérapeute de formation, Erik Pigani. Je parviens à prendre contact avec M. Pigani et nous convenons d’un entretien à distance durant lequel il m’expose et m’explique ses pensées, ses références, ses théories autour de la place de la répétition et de la variation dans l’existence humaine. J’ai laissé la conversation suivre le déroulement de son fil de pensées, ce qui m’a permis d’explorer la question bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer
Aborder le sujet de la répétition et de la variation sur l’aspect psychologique me paraissait judicieux pour essayer de comprendre comment et pourquoi l’existence humaine en montre des traces. La création en série et l’acte de collectionner en étaient de bons exemples pour moi. Or, Erik Pigani introduit l’acte de collectionner comme un sujet qui n’intéresse pas beaucoup les psychologues. Cela s’explique selon lui par le fait qu’il ne s’agit pas d’une pathologie qui peut être recensée et soignée. Il poursuit en qualifiant cette tendance de naturelle et c’est vision de la répétition va largement être employée dans son discours. Pour autant, tout au long de celui-ci, M. Pigani prend soin de toujours distinguer la répétition de la variation à commencer avec l’exemple du collectionneur « il s’agirait de répétition si par exemple, quelqu’un achetait toujours le même objet sans cesse. Il n’est pas question de ça chez le collectionneur, mais bien de variations autour d’un thème, comme les timbres ou encore les pièces de monnaie ». Aussi, bien que la tendance a collectionner soit naturelle chez l’Homme, elle n’en est peut-être pas moins révélatrice d’un manque à combler chez lui que l’on pourrait imaginer comme presque inscrit dans son ADN. En effet, les collectionneurs se trouvent dans l’impulsion de compléter perpétuellement quelque chose à travers d’innombrables variations de ce qui pourrait se rapporter à un tout spécifique. Il est également question d’un besoin de créer, le geste du collectionneur serait créatif selon Erik Pigani car si on les observe « ils ne foutent pas tous leurs objets en vrac dans une boîte. Certains passent du temps à disposer leurs pièces de la bonne façon sur des étagères, parce qu’ils créent leur univers. C’est une preuve que la collection, pour eux, dans ce qu’elle a de répétitif et de variable, est un acte de création. Qu’en est-il de la répétition et de la variation dans la création artistique? Si je me suis d’abord intéressée à l’exemple de la réalisation en série, en photographie, peinture ou encore sculpture, Erik Pigani m’a aussi ouvert la voie sur d’autres façons dont elles pouvaient intervenir dans l’art, avec notamment l’exemple de l’art médiumnique et du peintre Augustin Lesage. Ces derniers s’inscrivent dans le mouvement de ce qui est appelé Art Brut. Le peintre en question réalisait des grandes fresques couvertes de variations de motifs et de figures non préméditées. Celui-ci entretenait un lien spirituel et intuitif avec ses travaux puisque chacun de ses gestes lui étaient dictés par des voix intérieures. Lesage était alors dans un état de transe lorsqu’il peignait ces formes répétitives. On retrouve la répétition et la variation également en musique, qui est aussi une construction créative qui donne ensuite lieu à une dimension contemplative et émotionnelle. Il s’agit là encore de la recherche de variation autour d’un thème qui se manifeste sous une autre forme et sans parler nécessairement d’état de transe, on observe néanmoins l’opération d’un changement mental à l’écoute des compositions musicales qui sont construites sur la répétition et la variation. On retrouve aussi la question de l’univers que constitue chaque morceau. Dans la sculpture, ou plutôt la joaillerie, Pigani donne aussi l’exemple des œufs de Fabergé. Ceux-ci étaient fabriqués sur commande pour des grandes personnalités du XXe siècle et sont aujourd’hui considérés comme des œuvres d’art. Ceux-ci constituent une série et aucun œuf n’est identique mais conserve son essence par sa forme, celle ni plus ni moins d’un œuf. Mais pour Pigani, il s’agit là du « summum de la compétence humaine». La répétition avec variation s’observent même dans les domaines qui ne se veulent pas particulièrement artistiques. L’auteur observe par exemple le phénomène dans tous les métiers artisanaux. Le boulanger va par exemple répéter les gestes tous les jours mais aucune baguette ne sera jamais la même. On l’observe aussi dans nos civilisations humaines et de leur caractère cyclique. Erik Pigani va plus loin encore. Pour lui, le phénomène de répétition et de variation quelque soit sa forme, se trouve au fondement même de notre existence et de l’univers. De la démultiplication cellulaire qui s’opère dans la création de tout être, aux formes fractales de la nature ou bien psychédéliques que l’on peut observer lors des états de transe artificiels, en passant par les religions, les rituels chamaniques et les mantras indiens ou encore dans l’observation des éléments dans l’univers. Tout semble fondé sur la répétition et la variation. «Il y a quelque chose en l’être humain qui fait qu’on a besoin de répéter les choses peut être pour se relier à une partie de soi même, […] c’est le fondement de la vie et de la bonne santé de notre psyché. C’est d’être capable de répéter et de varier. Imaginez les autistes qui font tourner des objets sans cesse, s’ils avaient pas ça, c’est comme si leur esprit disparaissait, explosait. Ils se retrouvent le néant. C’est ça qui leur permet de se relier à eux même. […] Le collectionneur aussi, par son acte se relie à lui même»
Dans le discours d’Erik Pigani, la répétition et la variation semblent non seulement être à l’origine de toute chose mais aussi être porteurs de sens à toutes les échelles et à travers toutes les formes possibles. Ces phénomènes seraient omniprésents, dans l’univers jusque dans nos ramifications moléculaires et nos comportements animaux et humains tendraient vers la répétition et la variation. Certains individus s’en emparent à travers leur pratique artistique, d’autres à travers l’acte de collectionner par exemple. D’aucuns associeraient cette idée à une forme de folie, et selon Pigani, peut-être que c’est un peu le cas et que nous sommes toutes et tous un peu névrosés, mais les raisons seraient nées à l’aube des temps.