Entretien avec Lucas Pasquet Par Maëlle Ribeiro

En m’intéressant aux techno-utopies (comme le désigne Alice Carabédian dans son ouvrage Utopie Radicale), j’ai découvert un univers qui ne m’était pas totalement étranger mais auquel j’étais plutôt réfractaire : les soirées techno. Je n’ai jamais apprécié celles auxquelles j’ai pu assisté, trop souvent tournée vers les drogues dures, la nudité et les sons de marteaux piqueurs. C’est donc pleine de préjugés et d’à priori que je suis allée rencontrer un expert dans ce domaine : mon frère. Co-fondateur du collectif Cent Lendemains, il organise depuis quelques années des soirées « intimes » pour lui et ses ami.e.s en région parisienne.

Je suis arrivée chez mon frère un jeudi soir sur les coups de 22h. Il organisait ce soir là un atelier de lecture avec quelques-unes de ses connaissances autour du dernier livre de Paul B. Preciado. « Je me suis dit que ça t’intéresserait de voir ce qu’on fait aussi en dehors de nos soirées ». Je n’ai rien dit pendant toute la soirée, j’ai écouté les remarques et les questions de chacun.e sur un livre que je ne connaissais pas. J’ai pris quelques images aussi. Puis le lendemain, j’ai proposé à mon frère que l’on commence. La caméra est posée sur un pied, je lui demande de commencer par le début. «Alors moi c’est Lucas ou Lucus, tu m’appelles comme tu veux, je m’en fiche». Lucas a 29 ans, il est doctorant et vit à Paris depuis 8 ans. Il enseigne également en licence la philosophie bouddhiste indienne et traduit des textes en sanskrit du VIe et VIIIe siècle. «A côté de ça je fais aussi de la musique, j’ai deux projets qui s’appellent tous les deux Lucus. Un projet club où là je construis des sets en acte à partir d’une émotion; et un projet ambient où là du coup en général je prends des tracks pour leur nom et je compose des poèmes avec elles et ça me pose la track-list. »

Et où est-ce que tu vas comme ça? «Bah là du coup je vais vers la fin de ma thèse, je vais vers la tentative de l’ouverture d’un lieu qui s’appellera lae Ciel (centre interculturel d’expérimentation libre). (…) Avec Cent Lendemains on a réalisé des fêtes intimes dans Paris sur trois jours pour 25 euros par jour tout compris. Cette intimité on la fait transpirer au dehors. J’aime bien l’idée de transpirer car c’est l’eau qui passe par les pores. » Je me suis souvent demandé ce qui avait poussé mon frère dans cette voie là. Plus jeune, je ne lui connaissais pas ces intérêts et lorsqu’il a commencé à changer, je n’ai pas compris pourquoi: 

«Le point de départ c’est l’absence de sens. »

Mon frère est en colère depuis quelques années. Ça, je m’en étais rendue compte. « Je suis rythmé par l’indignation, par la rage de plein de choses. J’ai vécu une socialisation beaucoup plus violente que ce que j’avais romantisé, notamment en faisant du sport à haut niveau. J’étais confronté à un virilisme ultra présent avec une injonction à l’être mâle. Après tout ça, je me suis conformisé dans ce que j’appelle ma période Straight Core, période durant laquelle il y a eu un élagage de mes traits de personnalités et de mes particularités. » En 2019, pendant l’été, mon frère fait la queue avec des ami.e.s pour accéder à une soirée techno queer. Après plusieurs heures à attendre sous le soleil, il réalise qu’il n’y qu’un.e seul.e bénévole pour contrôler les billets des milliers de participant.e.s. Là, il craque. «Pourquoi on doit subir ça pour faire communauté? (…) à ce moment là, il m’est devenu nécessaire de me dire il faut qu’on soit concret dans un projet qui soit conséquent. Conséquent au sens où l’on tire les conséquences de ce que l’on pense et on les fait.»

Ouvrages et sitographie 

AUDE F, The Image of Fashion: Forget (fashion) photography, revue faire, 2022 https://revuefaire.eu/ 

CALVIN S. Hall et VERNON J. Nordby, A Primer of jungian Psychology, Seoul, Moonye, 2004 (1973). 

CARABEDIAN A., Utopie radicale: par delà l’imaginaire des cabanes et des ruines, Seuil, 2022 DEBORD G., La société du spectacle, essaie philosophique, édition Gallimard 

DELPHINE C., MYRIAM J., THOMAS P. (dir.), Théorème 32: Dans l’intimité des publics, Presse Sorbonne Nouvelle, 2020. 

ELIADE M. Images et symboles. Essais sur le symbolisme magico-religieux, Paris, Gallimard, « Les Essais », 1952; rééd. avec une nouvelle préface, « Tel », 1979 (ISBN 2-07-028665-7); avec un avant propos de Georges Dumézil, « Tel », 1980 

FRUTIGER A., L’Homme et ses Signes, édition Atelier Perrousseaux, 2000 

GOFFMAN E., La mise en scène de la vie quotidienne, tome 2: Les Relations en public (Sens Commun), essaie, édition Collection Le sens commun, 1973 

JIDDU K., Freedom from the Known, Seoul, aquariuspub, 2002 (1969) JULIE R., Et si jouer était un art?, Paris, L’Harmattan, 2016. 

MICHAEL H., The Metaphysics of Virtual Reality, Seoul, chaeksesang, 1997(1993) PHILIPPE Q., Le virtuel, Ceyzérieu, Champ Vallon, 1993. 

PRECIADO B. P., Dysphoria Mundi, Grasset, 2022. 

SANGKYUN K., The Metaverse: The digital Earth—the world of rising trends, Seoul, planbdesign, 2020. 

STEPHANIE K., L’écran, de l’icône au virtuel, Paris, L’harmattan, 2004. 

VON DER KOLK B., Le corps n’oublie rien: le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Albin Michel, 2018.

Œuvres 

ALFRED H., Rear window, film, 1h 52mn, 1954. 

JODOROWSKI A. (Réalisateur). 2019. Psychomagie : un art pour guérir [Film], Nour Films. 

KON S., Paprika, film, 1h 30mn, 2006. Les Wachowski, Matrix, film, 2h16mn, 1999. 

PETE D., Inside out, film, 1h 34mn, 2015. 

RODADO A., Fotograma completo Principal, performance, 2011