Entretien avec Marie Longhi Par Sélia Latieule

Surface designer, sérigraphe, fondatrice de l’atelier de sérigraphie textile avec des encres végétales Tellem.fr et membre fondateur de l’ISINA. Suite à un parcours de designer graphiste et illustratrice, à la tête d’une agence de communication visuelle et numérique en région parisienne, j’ai fait le choix de tout arrêter pour me plonger entièrement dans une activité qui m’obligeait à prendre le temps de produire par moi-même. Je me suis donc tournée très instinctivement vers l’impression en sérigraphie manuelle. Le textile offrant la possibilité de porter, montrer, rendre vivant un dessin et étant amoureuse avant tout de la forme et de sa transcription, je me suis orientée vers de l’impression textile. Cependant la couleur synthétique n’avait aucune résonance en moi et j’avais une grande difficulté à marier les couleurs pour obtenir une bonne harmonie. Je me suis alors tournée vers les plantes qui produisaient des couleurs naturelles.

Ce qui m’a amené à la couleur végétale, c’est plutôt le travail en atelier de sérigraphie, je dirais. Tu sais, moi au bout de deux heures j’avais la tête qui tournait et je devais m’arrêter, à cause des vapeurs. Je ne comprenais pas qu’on aille abîmer sa santé pour sa pratique, en plus de participer à une pollution plus vaste. En plus de ma santé, l’aspect politique et écologique ont beaucoup joué dans cette décision. À partir de là, j’ai tenté de travailler avec d’autres sources de couleurs. Moi j’ai toujours été nulle en couleur, parce que je faisais du graphisme aussi, en plus de la sérigraphie, et je me débrouillais mais on ne m’avait jamais appris à associer les couleurs, c’était quelque chose de très compliqué pour moi. Travailler avec la couleur végétale à été un vrai déclic, parce que les couleurs s’assemblent d’elles-mêmes, c’est comme une évidence, peut-être parce que ce sont les mêmes familles de molécules ? Aujourd’hui, au bout de 10 ans, je dirais que ma relation avec la couleur végétale est presque inconsciente. Quand je vois une couleur, je me demande comment l’obtenir de manière végétale, c’est un vrai réflexe. Je dirais que c’est une fulgurance quasi quotidienne, avec aucun retour en arrière possible, parce que ça fait vraiment partie intégrante de ma vie.

Quand on se balade, avec Nico, mon compagnon, depuis qu’on est ados, on a toujours été dans une certaine contemplation de la nature, qui pour moi, est vraiment un acte politique parce que c’est une manière de se détacher de la vue du paysage-ressource. C’est un peu ce qui m’a mené à cette idée de produire sur place et que tout ce qui est nécessaire à ma pratique viennent de ce qui est sur place. Pour ne pas épuiser les territoires avec la cueillette et le glanage, je défend aussi l’idée de développer une culture de plantes tinctoriales, en cultivant ce qui n’est pas abondant sur place. Je pense aussi qu’il faut participer au réensauvagement, en allant semer des graines, avec une préférence pour des plantes natives, qui seraient en train de perdre du terrain. Utiliser les couleurs, les textiles, les différentes matières premières locales, c’est dans un enjeu de sobriété. 

Dans ma pratique, c’est une revendication politique, parce que pour moi, c’est la pauvreté et la précarité qui mènent à la sobriété. J’ai vraiment découvert l’aspect collectif en arrivant au Bel Ordinaire, avec ISINA. C’est aussi pour ça qu’on a créé l’asso, parce que c’est pénible d’évoluer dans des secteurs très individualistes. En plus je trouve que l’individualisme, ça génère souvent une pratique pauvre et nombriliste, où l’art n’est pas au service du commun et où l’on s’enferme dans un discours vide. Je pense que l’artiste est un donneur de sens et que c’est dans cette visée du commun que cela doit s’exprimer. Le collectif permet ça parce qu’il a une puissance. Celle de cheminer ensemble, de se confronter à d’autres regards. Le collectif m’apporte beaucoup, ça nourrit ma pratique de m’y confronter, de travailler avec lui, de vivre avec lui, même si c’est dur, même si on ne comprend pas toujours, même si c’est parfois difficile d’y avoir une pratique personnelle. C’est difficile, mais c’est nécessaire, c’est ce qui nous fait avancer.

Ouvrages et sitographie

ANDERSON Z. C., Routledge Contemporary Practices in Alternative Process Photography, série de
11 livres traitant des procédés alternatifs en photographie, Focal Press, 2016-2022
DELAROZIÈRE M-F. et GARCIA M., De la Garance au Pastel, EDISUD, 2007
DOMINIQUE C., Le monde de la teinture naturelle,
LENOT M., Jouer contre l’appareil, éd. Photosynthèses, 2017
MARIE M., Guide des plantes tinctoriales, Fougères et plantes à fleurs, Belin, 2019


Œuvres

LONDON ALT PHOTOGRAPHY , Collectif londonien de photo alternative, à écrit des livres avec
compilations de techniques expérimentales et proposent des workshops.