La photographie documentaire revêt pour moi un des moyens d’expression les plus intéressant à explorer de par sa capacité à envisager la narration du quotidien, rendre le banal captivant, susciter la réflexion sur des questionnements actuels et garder la mémoire des sociétés passées. Un des artistes qui m’a particulièrement marqué dans ce domaine est le photographe Thierry Bouët et son projet Affaires privées qui s’intéresse au site Le Bon Coin et ses annonces parfois extravagantes. Reflet et critique de notre société de consommation abordée avec humour et subtilité.
Je parviens à prendre contact avec Thierry Bouët, avec qui nous convenons un entretien dans son studio à Paris pour une discussion autour de son travail et de sa pratique documentaire dont découle cette conversation enrichissante offrant un aperçu de ses pensées et inspirations.
Pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Je m’appelle Thierry Bouët, mon métier c’est photographe, j’ai 64 ans donc ça fait presque 40 ans que je fais de la photographie. Et je ne vis que pour ça.
Est-ce que vous associez votre travail à un genre particulier ?
Je dirais que mon genre particulier c’est le documentaire parce que je fais très peu de fiction. La seule partie de mon travail qui était de la fiction, c’est lorsque j’ai commencé et que je faisais des photos de mode. Mais le moment où mon genre bascule, c’est quand il y a la chute du Mur de Berlin en 1989, où je décide d’aller là-bas par mes propres moyens pour assister en tant que témoin (et plutôt par intérêt d’ailleurs) à la chute du mur de Berlin. Et c’est là où je me rends compte que la photographie documentaire est vraiment quelque chose qui m’intéresse profondément. Donc je dirais que le genre c’est la photo documentaire. Maintenant, il y a un lien qui revient très régulièrement dans mon travail, c’est l’étude de communautés de gens qui s’ignorent. C’est-à-dire que je crée des communautés de gens qui ont quelque chose en commun mais qui ne se rencontrent pas, qui ne se connaissent pas entre eux. J’appelle ça les communautés de gens qui s’ignorent. Sur le documentaire, ce que j’aime, c’est raconter la vérité. Je trouve qu’il n’y a rien de plus intéressant que la vérité et dès que l’on est sur un élément de vérité intéressant, je trouve qu’il dépasse la fiction. C’est ça qui m’intéresse. Souvent, je me suis retrouvé sur des éléments de vérité où j’ai trouvé que ça dépassait la fiction et qu’il n’y a rien de plus intéressant que le documentaire. D’ailleurs, je regarde très peu de films de fiction et je suis plutôt un spectateur de documentaire lorsque cela concerne le film. Parce que j’aime apprendre des choses lorsque j’y consacre du temps. C’est la valeur du documentaire, photographique et cinématographique. Sauf que moi, je fais plutôt de la photographie et que le cinéma ce n’est pas mon métier. C’est un métier très différent. La différence, c’est qu’en photographie, il faut qu’en une image on arrive à synthétiser une idée, ce que le documentaire laisse plusieurs minutes pour pouvoir expliquer.
J’aime beaucoup la synthétisation de l’image dans le documentaire. C’est-à-dire qu’elle doit raconter quelque chose. Elle doit avoir un langage, son propre langage. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle je prends beaucoup de plaisir à entretenir une correspondance sous forme de carte postale avec le Prince George, parce que ça me permet en une image de lui donner une idée sur un sujet.
Pensez-vous qu’il est plus important de montrer la stricte vérité ou de la romancer ?
L’avantage quand on a un outil artistique,c’est de pouvoir l’adapter à ce que l’on a envie de dire, donc j’autorise toutes les transformations nécessaires au message que je souhaite transmettre à travers d’une image. Par exemple, il y a un sujet sur lequel je travaille depuis des années qui sont les scènes de crimes, plus particulièrement les lieux de crime célèbres. La semaine dernière j’étais en Angleterre parce qu’il y avait une scène de… crime qui m’intéressait très particulièrement et qui était la maison dans laquelle est mort Brian Jones, le fondateur des Rolling Stones.
Et lorsque je photographie des scènes de crimes j’essaie de me rapprocher le plus possible des conditions dans lesquelles ça s’est passé. Si ça s’est passé de nuit, je photographierais de nuit, si ça s’est passé en été je vais y aller en été…
La scène de crime de Brian Jones s’est passée en juillet et je l’ai faite au mois de novembre pour des questions d’obligation de production, et sur la photo il y a un paquet de feuilles mortes qui est dans un coin,et je ne me suis pas… de reverdir ces feuilles mortes pour ne pas que l’on voie que l’on est au mois de novembre alors ue l’événement s’est déroulé en juillet. C’est ce genre de transformation que je m’autorise. Donc ce n’est pas vraiment un mensonge mais plus une adaptation pour coller le plus possible à l’information qui est contenue dans l’image.
Définiriez-vous votre approche de travail plutôt de façon instinctive ou intellectuelle ?
Alors j’ai une approche qui est en fait très construite. C’est-à-dire qu’il est très rare que je me promène dans la rue le nez en l’air pour essayer d’attraper un instant, lorsque je travaille il y a toujours une préparation à l’avance qui fait que lorsque j’arrive sur l’objectif que je me suis fixé, je sais déjà (à priori) ce que je vais faire…